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le silence d'une étoile
10 mars 2010

Nage en eaux troubles

J'aime l'eau. Du plus loin que je puisse me souvenir, l'eau est l'élément dans lequel je m'ébats avec le plus d'aisance. Je suis née sur une île, j'ai grandi dans le sable, j'ai bu plus d'eau de mer que d'eau de source. J'ai nagé dans des lacs glacés alpins et dans la moiteur chlorée des piscines municipales.
Qu'il-y-a-t-il de plus beau que de s'enfoncer sous l'eau, les yeux grands ouverts, et, coupé du monde et de ses bruits, de contempler autour de soi la fluidité infinie du rien?
C'est comme plonger dans l'univers d'un livre ou d'un film et d'en sortir, à contre-cœur et hagard.

Et puis, un soir, vous rentrez chez vous, innocent et confiant. Home sweet home, douce chaleur du chauffage hors de prix, gentil chaton affamé, tentant tas de copies délaissées qui te tend les bras...
On fera à manger plus tard. La vaisselle? plus tard. Un bout de machin à grignoter sur le bureau, vite, le nez dans les délices des parallélogrammes et les caractéristiques de leurs diagonales tandis que la main gauche corrige les évaluations sur les planètes et les galaxies et que de la main droite...bon d'accord, youtube, mais c'est parce que le voisin il fait du bruit.

Et puis, tiens, si, au lieu de corriger, on faisait la vaisselle? Ah tiens, l'eau ne s'écoule pas, et stagne dans l'évier. Vous faites comme si vous n'avez rien vu et retournez travailler, mais au bout de 5 minutes (oui, vous êtes incapable de vous concentrer sur une tâche) vous retournez voir où l'écoulement en est. Il n'est pas. Vous allez donc chercher la bouteille miraculeuse de soude caustique, celle qui va vous permettre de déboucher cet évier, de faire la vaisselle, de débarrasser par la même occasion le plan de travail et de cuisiner quelque chose de chaud.

Liquide versé, on retourne travailler. La concentration est à son comble. Vous ne faites absolument rien, d'un air très appliqué.

Au bout de 20 minutes, vous allez constater le miracle des réactions chimiques.

Qui n'a pas eu lieu.

Vous vous retroussez donc les manches pour ne pas pleurer dessus en vous prenant le visage dans les mains.

Il va falloir agir.

Après 37 minutes de réflexion (la faim ayant eu raison de votre indécision), vous vous saisissez de deux seaux de bonne contenance, ouvrez sous les éviers (oui, car il y en a deux, pleins à ras-bord d'eau et de soude) et dévissez précautionneusement la bonde (on va appeler ça la bonde, même si on n'a aucune idée de comment ce machin qui se dévisse s'appelle. D'ailleurs on va décider que toutes les parties de l'évier qui ne sont pas le bac s'appelleront "la bonde").

Des flots d'eau chaude se déversent dans le premier seau, vous essayez de glisser proprement le second à la suite, non sans faire gicler des litres tout autour de vous. Et sur vous. Mission réussie, le second seau se remplit très rapidement, trop rapidement pour réagir au fait qu'il ne sera pas assez grand pour contenir toute l'eau. Qui se déverse donc partout sur le sol de la cuisine. Et sur vos genoux.

La soude, ça brûle.

De légères larmichettes aux coins des yeux (mais on n'est pas une femmelette que diable! ...ah si?), vous allez vider les deux seaux dans les toilettes. De l'eau limpide. Sans bouchons, salissures ou autres cochonneries que l'on trouve seulement dans les éviers.

Pris d'un soupçon, vous allez vérifier.

Seau sous la bonde, vous laissez couler de l'eau qui tombe directement et proprement dans le seau.

Marvellous. C'est débouché!

Vous procédez au test numéro deux. Bonde revissée, vous ouvrez le robinet d'eau. Ça s'écoule!

Ah non.

Vos deux éviers sont de nouveaux remplis. Vous répétez les opérations menées ci-dessus (vous n'avez qu'à relire si vous ne savez plus) mais de façon un peu plus intelligente, en bouchant un évier sur les deux.

Ce qui ne vous empêche pas de faire gicler de l'eau de tous les côtés.

Les éviers, les seaux et vous même sont vidés quand soudain, brombolombolombolom, le chauffe-eau du voisin du dessus se met en route et, oui, vous n'avez aucun trouble de la vision, ce sont bien vos deux éviers vides qui se remplissent, se remplissent, à la vitesse de la lumière (environ 9460 milliards de km vous diront mes élèves s'ils ont bien appris leur leçon) tandis que vos yeux se remplissent de larmes. Le principe des vases communiquants en direct.

Vous répétez en urgence les opérations de vidage menées déjà par deux fois, l'eau rejaillit, halleluia, vite des serviettes par terre.

C'est donc avec une tête de sorcière, l'oeil bordé de rouge, le cheveux électrique que vous allez sonner chez le voisin du dessus. Il est presque 23 heures.

Le voisin est très bavard, vous êtes très fatiguée, vous avez faim (ce jour-ci, vous avez fini à la va-vite votre repas de midi à 15h25 pour cause de trop grande fréquentation de parents d'élèves).

Le voisin refuse de vous croire, tout d'abord, et vous raconte tout ce qu'il a bien pu faire pour déboucher son évier un jour qu'il était bouché.

Le voisin est bouché, vous réfléchissez à tout ce que vous pourriez lui faire pour le déboucher. Patiemment, vous réaffirmez posément et poliment, avec des mots choisis, que "SI! putaindebordeldemerde je te dis que c'est l'évacuation commune qui bouche et tout reflue dans mon évier puteborgne!".

Ebranlé par votre force de conviction et votre oeil noir, le voisin vous propose de faire un test. Il va faire couler de l'eau. Si votre évier se remplit, il ne fera plus couler de l'eau du tout. Sinon, débrouillez-vous.

Vous acceptez, parce que vous êtes à bout de forces et parce que vous aimeriez bien que l'on vous croit. Histoire de ne pas vous sentir définitivement folle.

Le voisin fait couler de l'eau, vos éviers se re-remplissent, vous grimpez les escaliers quatre à quatre, confirmez que l'opération a été concluante et "merci bien mais je ne peux rester discuter il faut que je retourne vider des seaux d'eaux bonne soirée."

Vous retournez donc chez vous et répétez les opérations menées ci-dessus, toujours dans de grands épanchements aqueux et lacrymaux.

Vous finissez par avoir des éviers vides et un sol pratiquement sec. Cela tombe bien, il est l'heure d'aller dormir depuis 4 heures.

Allongé dans votre lit, vous tentez de dormir mais, peine perdue, vous avez l'esprit plus alerte qu'une gerbille sous LSD. Votre oreille est plus tendue que la corde d'un arc, car n'est-ce pas le chauffe-eau de votre voisin qui vient de se mettre en route?

Cette nuit-là, vous vous rendez compte que les chauffe-eaux de vos voisins se mettent en marche toutes les 20 minutes mais que cela ne signifie pas forcément que de l'eau coule dans leurs éviers (qui ne débordent pas, eux).

Après 4 heures du matin, épuisé, vous vous endormez enfin du sommeil du juste, et c'est donc une heure et demie après que le réveil ait sonné (vous qui vouliez vous lever plus tôt pour travailler...) que vous vous réveillez en sursaut et vous précipitez dans la cuisine pour préparer un petit déjeuner.

Splatch Splitch Sploutch.

Bienvenue dans votre nouvelle piscine. Tenue de bain exigée.

 

 

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